Conférenciers invités

Claude Lavoie

ESAD, Université Laval -  Canada

Claude Lavoie


Herbiers : vieux outils, nouvelles perspectives en écologie et biogéographie

Il y a plus de 350 millions de spécimens dans les herbiers du monde, ce qui constitue une formidable source d'information non seulement pour les taxonomistes, mais aussi pour les spécialistes de l'écologie et de la biogéographie qui veulent étudier des phénomènes avec une perspective spatio-temporelle. On utilise les herbiers à cet effet depuis les années 1960, surtout pour des recherches sur les plantes envahissantes, la pollution ou les maladies des plantes. Ces usages persistent et ils sont mêmes en croissance, mais on constate aussi l'émergence de nouvelles méthodes de travail et de nouveaux usages. La numérisation des collections a permis des percées très intéressantes en biogéographie et il n'est plus rare de voir des études continentales traitant plusieurs centaines de milliers de spécimens. Les études phénologiques (évolution de la floraison au fil du temps) effectués avec des spécimens d'herbier sont de plus en plus répandues. Mais c'est surtout l'apparition de nouveaux usages faisant directement appel aux spécimens de plante eux-mêmes, et non plus à la seule étiquette du carton d'herbier, qui permet les avancées les plus novatrices. Le perfectionnement des méthodes génétiques y contribue pour beaucoup, mais les écologues et biogéographes étudient également de nos jours les changements dans la forme des plantes en fonction de différents facteurs, comme le réchauffement du climat ou l'intensité des récoltes chez les plantes sauvages ou celle de l'herbivorie. Les analyses chimiques des spécimens ne portent plus uniquement sur les polluants, mais aussi sur la toxicité des espèces. Aucun spécimen n'a été récolté spécifiquement pour ces usages, et il faut demeurer prudent dans les analyses, mais ces nouveaux usages montrent qu'une grande partie du potentiel des herbiers reste encore à découvrir. Malheureusement, les récoltes de nouveaux spécimens se font de moins en moins nombreuses, ce qui engendre des lacunes dans les bases de données. Plus préoccupant encore, certains herbiers sont menacés de disparition, faute d'intérêt et de ressources financières. Regrouper les collections dans de plus grands ensembles pourrait être une des solutions à ce problème.

 
 

Thierry Dutoit

CNRS-IMBE, IUT Avignon

Libérer ou restaurer les communautés végétales ?

Historiquement, les communautés végétales ont toujours été au cœur des projets de restauration écologique pour leur importante valeur patrimoniale et/ou les considérables services écosystémiques qu'elles fournissent. L'écologie des communautés végétales est ainsi une discipline scientifique primordiale sur laquelle s'appuie l'écologie de la restauration. Cependant, l'absence de théorie unifiée sur les processus de coexistence ou sur les liens entre complexité et fonctionnalité, constitue un verrou scientifique majeur dans nos capacités à restaurer l'intégralité des communautés végétales après leur dégradation ou destruction. Des meta-analyses récentes ont ainsi identifié des paliers dans les trajectoires de restauration qui correspondent notamment à l'impossibilité d'accélérer la structuration des communautés végétales vers celle des communautés de référence aux échelles temporelles d'un projet de restauration ou même de plusieurs générations humaines ! Ce manque de résultats est alors à relier avec notre méconnaissance de l'extraordinaire complexité des niveaux élevés d'organisation du vivant mais aussi de l'ampleur des destructions et des changements planétaires en cours. Face à ce constat, également établi pour les communautés animales, un changement de paradigme a été proposé ces dernières années en matière de restauration écologique des écosystèmes. En effet, dans un contexte de changement global et face à des seuils d'irréversibilité (biologiques et socio-économiques), infranchissables dans l'état des connaissances scientifiques, des techniques et ressources économiques actuelles; la restauration d'anciens écosystèmes qualifiés de "culturels" pose en effet questions face à l'émergence des "nouveaux écosystèmes". Ceux-ci sont définis comme étant dégradés par des pratiques humaines intensives mais la dynamique à long terme de leurs communautés végétales est encore largement inconnue et peu prédictible suite à l'absence de référentiels tant au niveau biotique (nouveaux assemblages d'espèces) qu'abiotiques (changements climatiques et édaphiques). De nombreux travaux expérimentaux sont alors nécessaires pour orienter au mieux les choix en matière de restauration des communautés végétales face à l'apparition de ce nouveau paradigme.

 

Vincent Boullet

Société française de phytosociologie

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Phytosociologie et fonctionnalités : quelle prise en compte ?

Parmi les sciences de la végétation, la phytosociologie développe une approche essentiellement floristique et écologique dans une optique de description, de caractérisation, d'ordination et de classification de la végétation. Mais depuis le fondement officiel de la discipline, adossé à la définition de l'association végétale de C. Flahault et C. Schröter en 1910 et aux principes méthodologiques fondateurs de J. Braun-Blanquet (1921), de nombreuses évolutions ont jalonné cette science naissante. Divers courants de l'écologie ont croisé la trajectoire de la phytosociologie, apportant des éclairages nouveaux dont certains sont à l'origine de voies divergentes de la discipline.

La chronologie de ces apports et la diversité des trajectoires prises par la phytosociologie sont d'abord reconstituées et présentées sous une forme synoptique totalement inédite. Cette synthèse épistémologique permet de mieux comprendre la place qu'occupent les fonctionnalités dans l'ensemble de l'essaim méthodologique de la phytosociologie au cours du siècle écoulé. Il convient par la suite de préciser ce qu'on entend ici par « fonctionnalités », au regard pratique de ce qui peut concerner les concepts de la phytosociologie. Plus précisément, les aspects analytiques tels que fonctions, processus, traits d'histoire de vie sont abordés ; puis les aspects plus synthétiques de systèmes (systémique de la végétation), en lien avec l'approche dynamique et caténale du tapis végétal, achèvent ce premier tour d'horizon.

Les questions fonctionnelles sont aussi dépendantes du niveau d'intégration en phytosociologie des questions structurales. Comment la phytosociologie intègre la structure de la végétation est donc aussi une clé essentielle de compréhension de la place et du rôle de la phytosociologie dans les sciences de la végétation. Dans cette optique, un regard plus approfondi est porté sur les apports de l'école dite « hollandaise » de la phytosociologie fondée à la suite des travaux de J.J. Barkman (1979).

L'échelle à laquelle de telles questions peuvent se poser trouve dans l'approche emboîtée de la phytosociologie et de la phytosociologie paysagère un cadre idéal de réponse aux différentes échelles spatiales et temporelles du tapis végétal. La prise en compte des fonctionnalités ne peut donc se résumer aux seuls aspects strictement phytosociologiques mais doit être étendue aux concepts de la phytosociologie dynamico-caténale.

L'opposition à l'écologie fonctionnelle, maintes fois invoquée par les détracteurs de la phytosociologie au cours de son histoire, tient probablement plus à une méconnaissance de la complémentarité de ces disciplines. Quelques exemples suffisent à illustrer l'intérêt de combiner ces approches d'un point de vue fondamental tout autant qu'appliqué.

Ceci étant, l'évolution de la phytosociologie depuis sa naissance est encore loin d'être achevée, heureusement. Une telle perspective nécessite de s'interroger sur le devenir de la méthode elle-même vis-à-vis des questions de fonctionnalités. Au-delà de cette interrogation, des propositions concrètes sont avancées en guise de conclusion.

 

Hérvé Daniel

AGROCAMPUS OUEST
Département Écologie

UP Paysage et Ecologie Agrocampus Ouest – ESA

Hervé Daniel

L’écologie végétale en contexte urbain : des contraintes ou des opportunités ?

Analyse de la végétation d’espaces arborés le long de gradients ville-campagne

 

Depuis déjà de nombreuses années, des travaux en écologie végétale intègrent des espaces urbanisés, et ils ont largement contribués à l’émergence d’une écologie urbaine, notamment d’un point de vue méthodologique. D’un point de vue plus appliqué, les enjeux de biodiversité sont désormais de plus en plus intégrés dans les réflexions concernant les territoires urbains. La mise en œuvre des trames vertes et bleues est un exemple de ces évolutions, et il montre bien souvent la complexité de ces démarches. Les espaces boisés sont des habitats très fréquemment mobilisés lors les démarches d’aménagement des agglomérations urbaines, et leur étude peut contribuer au progrès des connaissances portant sur la biodiversité urbaine, sa caractérisation, ses dynamiques en lien avec des activités humaines.

Des travaux d’analyse de la végétation à l’interface ville campagne ont été conduits dans trois agglomérations de l’ouest de la France (Angers, Nantes et Rennes) et en se focalisant sur les habitats boisés. Il apparaît tout d’abord que ces milieux peuvent, y compris en contexte urbain, accueillir une richesse biologique tout à fait importante. Si les bois les plus proches du centre ville sont aussi bien souvent les plus riches, cela est principalement dû à leur plus grande richesse en espèces exotiques. La richesse en espèces spécialistes des milieux forestiers se maintient quant à elle le long de ce gradient. Ces résultats montrent déjà l’importance de ne pas se limiter à des richesses en espèces mais de prendre en compte la composition des communautés. La comparaison de la flore de ces bois, très peu gérés, avec d’autres, soumis à une gestion extensive, a permis de montrer que cette flore forestière pouvait se maintenir dans ces conditions, et qu’elle s’enrichissait essentiellement en espèces non spécifiques à ce milieu L’influence de l’isolement sur la biodiversité de ces boisements fragmentés a été également analysée et a permis de mettre en évidence deux types contrastés de résultats. Dans le cas des boisements, les indicateurs de connectivité ne peuvent être mis en relation avec des critères de richesse floristique. Par contre, dans le cas d’habitats boisés de très faible surface (bosquets, haies…), la richesse de la flore forestière est fortement réduite, mais cette réduction semble pouvoir être compensée, au moins en partie, par une plus forte densité des espaces arborés dans le voisinage.

L’intérêt est aussi de porter son attention non plus sur la diversité locale d’un bois, mais plutôt sur la contribution de ce bois à la biodiversité à l’échelle du paysage. Cette grille de lecture peut conduire à relativiser l’importance de la surface du bois sur les enjeux de biodiversité, et par exemple montrer l’intérêt non seulement de quelques grands espaces boisés mais aussi de la diversité de espaces arborés même de surfaces plus modestes. L’analyse de la végétation en contexte urbain peut constituer des opportunités, pour mieux comprendre les processus écologiques en relation avec les activités humaines, ainsi que pour contribuer aux démarches de gestion et de planification dans ces territoires.

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